“La sirena en la obra pictórica de Pablo Amaringo, un artista de la Amazonía peruana (1938-2009)”
Comment, en tant que Sirenas Incaicas, ne pas être interpellées par le titre de ce travail qui est “La sirène dans l’œuvre picturale de Pablo Amaringo, un artiste de l’Amazonie péruvienne (1938-2009)”?
J’ai (Kyralina) rencontré Lucie Miramont lors de ma première soirée au Gato Tulipan, espace culturel du quartier de Barranco, à Lima, lors de mon second voyage au pays des Incas. Lucie travaille à présent comme doctorante en anthropologie et plus particulièrement sur l’étude de la graphie populaire que l’on rencontre notamment dans les affiches de Cumbia-rock et de Chicha (genre musical né d’une fusion entre la cumbia (principalement issue de la culture colombienne et du huayno, chant traditionnel des Andes), d’où sa connaissance des milieux urbains et alternatifs. C’est ce même genre de graphie stylisée que l’on retrouve sur les T-shirts estampés Amapolay (voir notre article à ce sujet) et c’est grâce à Lucie que j’ai rencontré les créateurs de cette marque streetwear inspirée de l’Amazonie péruvienne.
Comme au Pérou, il est commun de dire qu’on ne rencontre jamais personne par hasard, je n’en doute plus lorsque Lucie m’a parlé de son premier travail de recherche… sur la représentation de la Sirène dans la peinture d’un artiste de la Selva péruvienne!
Après une lecture enrichissante, je vous en propose donc un petit compte-rendu!
En plongeant le regard dans les magnifiques toiles saturées de couleurs et de motifs du peintre Pablo Amaringo (originaire de la région de l’Ucayali, d’une petite ville au Nord de Pucallpa), on peut donc constater que le personnage fantastique et énigmatique de la sirène y est très récurrent. Lucie s’est donc demandée quel pouvait être leur rôle et qu’est-ce que la sirène représente dans l’iconographie que le peintre nous propose?
Posant inévitablement la question du syncrétisme culturel et de l’apport occidental, via l’arrivée des conquistadors espagnols sur le continent américain, la symbologie de la sirène semble cristalliser toutes les ambiguïtés qui ont résulté d’un tel “choc des cultures”. C’est en établissant donc un parallélisme entre la figure de la sirène dans la mythologie grecque, d’après la littérature homérique notamment, et l”importance de l’élément aquatique dans la culture du peuple Shipibo, habitant de la région amazonienne péruvienne que s’est construite la réflexion de Lucie à ce sujet.
Entre être maléfique et être bénéfique, la sirène sous le pinceau d’Amaringo est devenue un outil essentiel de la représentation picturale. Il faut rappeler ici que Pablo Amaringo ne fut pas seulement un peintre mais fut aussi ce qu’on appelle un “chaman” ou “guérisseur”. Doté d’une grande sagesse et d’un véritable humanisme, il délaisse le chamanisme au profit de la peinture et du pouvoir de représenter les visions provoquées par les rites chamaniques qu’il continuait de pratiquer dans un but d’aide envers son prochain et de guérisons des maladies. Le principal rite pratiqué par la communauté Shipibo consiste en la prise d’ayahuasca, une substance hallucinogène qui permet d’accéder à un état de conscience modifié. Le travail d’Amaringo s’est fortement inspiré des visions provoquées par la prise d’ayahuasca, ses œuvres sont les témoins de cette entrée dans des mondes parallèles aussi complexes que codifiés et où la sirène joue un rôle charnière.
Figure alliant l’animal et l’humain, la sirène s’éloigne des clichés véhiculés par la culture occidentale à ses débuts où elle était principalement une figure de la tentation pour s’approcher de la version plus médiévale où elle devient un être doté d’une profonde spiritualité et dont le chant peut guider jusqu’à Dieu. Sur les toiles du peintre de la Selva, la sirène, par son positionnement stratégique aux frontières des mondes, se fait l’intermédiaire privilégié du chaman, elle représente l’espace des limbes, la transition entre les différents éléments terrestres, célestes et aquatiques. Si le chaman est bien souvent une figure masculine, la sirène en offre le pendant féminin en quelque sorte, symbole d’harmonie et de beauté.
La sirène est la créature enchanteresse qui ouvre les portes de l’inconscient et de ses profondeurs, permettant à celui qui la rencontre lors d’une vision, de s’élever et d’aller toujours plus loin dans la connaissance de soi. Par son aspect hybride, mi-femme mi-poisson, la sirène incarne le microcosme qui lie l’homme à son berceau: la nature.
ARTICLE ÉCRIT EN MARS 2017