La Fondation Mario Testino: un MaTe de traditions et modernité

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Visite de la Fondation Mario Testino, “MATE”, Barranco, Lima, 2016.

Ce n’est peut-être pas un hasard si la fondation du grand photographe péruvien Mario Testino, qui a ouvert ses portes au public en 2012 à l’initiative de l’artiste lui-même, se fait appeler “MATE” (Ma/rio Te/stino), créant ainsi un écho direct avec la boisson chaude où l’on laisse infuser des feuilles de coca pour lutter contre le mal d’altitude de la sierra _ le sorroche_ associant dans son nom même tradition et modernité.

Sirenas Incaicas a emprunté un des clichés de Testino pour sa page d’accueil, d’après la série de photographies du Vogue au Pérou, n°936, (avril 2013) avec le modèle Isabeli Fontana, une sirène incaïque mise en beauté par le célèbre photographe. Située au cœur du quartier bohème de Barranco, à Lima, la fondation MATE redonne sa splendeur d’antan à une vielle demeure du XIXème siècle, avec ses huit salles, le lieu se veut vitrine du travail aux multiples facettes _ kaléidoscopique, pourrait-on dire_ de Testino et de son regard aussi rêveur qu’extravagant, surprenant qu’émouvant, où beauté et perfection s’allient dans un délire de couleurs et dans l’intimité d’un moment. 

Mario Testino est né le 30 octobre 1954 dans la capitale péruvienne. Il est connu aujourd’hui comme l’un des plus grands noms de la photographie de mode; et pour cause, sa carrière est fulgurante, après une enfance dans une famille catholique traditionnelle de classe moyenne (d’un père italien et d’une mère irlandaise), le jeune Mario souhaite devenir prêtre! Puis il commence des études d’économie à l’Université du Pacifique (Pérou), et poursuit à la PUCP (Pontifica Universidad Catolica del Peru) avec des études de droit pour finir son cursus à l’université de Californie à San Diego où il étudia les relations internationales. A 22 ans, en 1976, il laisse de côté ses études et part vivre à Londres pour se consacrer à la photographie. Le Pérou étant un pays très catholique, il ne se sent pas libre de s’exprimer. Et vient la gloire pour l’homme derrière l’objectif, il travaille pour de prestigieuses revues de mode telles que Vogue, V Magazine et Vanity Fair. Il est sollicité par les grands noms de la Haute couture, Gucci, Burberry, Versace, Michael Kors, et même Estée Lauder, Lancôme et Chanel… Il photographie les tops les plus influents, les icônes de la mode, Kate Moss, Gisele Bundchen, mais aussi la princesse de Galles Diana, Madonna et Gwyneth Paltrow. Cette immersion dans le monde de la mode et du luxe, de l’exubérance et de la célébrité n’a rien fait perdre de l’authenticité qui se dégage de ses clichés et en cela, Sirenas Incaïcas désire lui rendre hommage. C’est en étant fidèle à lui-même et à sa personnalité hédoniste, que Testino parvient à réaliser le pari de nous donner à voir du vrai dans un monde de paillettes où tout semble si superficiel… Si saisir l’instant est la tâche du photographe, Mario Testino en a pleinement conscience et tire de cette contrainte de l’éphémère les meilleurs atouts: il fait ressortir la lumière de ses sujets au travers d’une pose, d’un sourire franc ou esquissé, d’un vêtement resplendissant porté avec nonchalance ou d’une pauvre fripe superbement mise en valeur par la beauté naturelle de la personne photographiée. Il joue des contradictions, défie les règles avec poésie et anticonformisme.

On se promène alors d’une salle à l’autre en posant le regard sur la fière allure de Beyoncé dans une robe aux découpes sensuelles, de jeunes aux courbes divines profitant d’un bain de lumière que leur offre l’été ou d’une orgie dans les coulisses d’une maison de couture. Plusieurs univers hantent Testino et c’est précisément cela qui rend son travail unique. Au détour de cette effervescence de perfection consumériste surgit l’art, le regard oblique d’un rêveur qui capture l’image: celle qui nous touche, qui nous inspire.

Puis vient “la” salle de l’exposition permanente du MATE: entièrement dédiée à des photographies des vêtements et costumes traditionnels de la sierra cuzquénienne. La série de ces clichés se nomme bien astucieusement “Alta Moda” soit “Haute couture” où il faut prendre l’expression au pied de la lettre: la hauteur ici renvoie à l’altitude des Andes, et Testino joue sur les mots comme il fait jouer son appareil photo pour immortaliser le folklore péruvien dans une mélancolie éclatante. En fait, il nous fait rêver…

Et comment ne pas être envoûtés par la magie de ces images? Les personnages, souvent de dos, se font les héritiers d’une histoire sans fin, les dépositaires d’une mémoire séculaire et vernaculaire dont le souffle les porte jusqu’à nous. Les toiles de fond sur lesquels se découpent les silhouettes chamarrées de ces femmes et de ces hommes ont appartenu au photographe péruvien le plus célèbre de son époque: Martin Chambi (1891-1973). Autre œuvre immense où respire le souffle andin. Les gracieuses cholas nous emportent, nous, spectateurs, dans une danse à la fois immobile et silencieuse et en même temps si mouvante et parlante… Testino ne nous lasse pas de ses paradoxes.D’hommage à hommage, cette série de photographies nous imprègne -plus que de folklore et de traditions, plus que de “couleur locale”- de la vitalité indigène telle qu’elle perdure encore, toujours là/présente/vive…

Et voilà ce que dit l’ex éditeur photographique de Vogue, Robin Muir, responsable des textes qui accompagnent l’exposition à propos de son ami Testino:

“Pendant 40 ans, il a réalisé la plus délicate des tâches: allier le traditionalisme à la créativité, l’éternel au transitoire. C’est de cette alchimie d’oppositions que surgit la photographie parfaite. Au final, la photographie de mode n’est pas seulement une question de vêtements et de comment les porter, et le travail de Mario Testino n’est pas qu’une question de mode. C’est quelque chose en plus: quelque chose d’inédit, de magique, inattendu, mais surtout, comme vous pouvez le constater autour de vous, c’est simplement des personnes…”

ARTICLE ÉCRIT EN DÉCEMBRE 2016

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