Amapolay: visions hallucinantes du streetwear (Pérou)

Temps de lecture : 4 minutes

Découverte de la marque péruvienne Amapolay

C’est lors d’une soirée au Gato Tulipan, espace culturel dans le quartier de Barranco, où se donnait une présentation de poésie (du poète Rafael Landa et de son recueil Via publica), que j’ai pu rencontré un couple de créateurs de vêtements indépendants, Carol et Fernando Castro. Sans même savoir qui ils étaient, je me suis retournée sur la veste super originale que portait Carol, d’un bleu profond sur lequel se détachait un colibri multicolore. Mon amie Lucie, française au Pérou doctorante en anthropologie, me chuchote à l’oreille qu’ils sont les créateurs de la marque “Amapolay”. Aussitôt, ma curiosité est piquée et je décide d’en savoir plus!

Amapolay est une pépite pour Sirenas Incaicas, car l’histoire de cette “marque” va au-delà de l’aspect commercial évidemment et porte en elle un processus de création qui cristallise revendication d’une identité, en l’occurrence péruvienne, et message politiquement alternatif, ou disons-le rebelle. “Amapolay, Manufactures Autonomes”.

D’abord, le nom “Amapolay” qui renvoie à une plante de la selva (el amapola? le coquelicot?) aux pouvoirs somnifères mais aussi à un huayno du célèbre auteur péruvien de Los rios profundos (un livre culte de la littérature indigéniste), José Maria Arguedas. Le nom de la marque est empreint de “péruvianité” et c’est ce premier aspect qui  a attiré mon attention. Carol a suivi des études d’anthropologie à l’Université de San Marcos, l’université la plus vieille du continent sud-américain. Fernando a, quant à lui, des connaissances anthropologiques et une formation musicale.

Les deux ont voyagé avec leurs sac-à-dos ensemble quasiment trois années, principalement dans la selva, forêt amazonienne. Un voyage d’après lequel Carol peut faire la conclusion suivante “Les frontières sont dans nos têtes”… Animés par le désir de communiquer, de créer un langage avec les vêtements, de rendre hommage d’une certaine manière à la très longue tradition textile du Pérou, depuis les mantos de Paracas à l’actuelle fourmilière de Gamarra, au cœur de Lima, qui est un des plus grands marchés de prêt-à-porter mais aussi d’ateliers de confections in situ du continent et où ils ont aussi travaillé d’ailleurs.

Dans l’interview qu’on peut voir des créateurs sur youtube:

Fernando arbore un t-shirt où l’on peut lire “Selva Poder”, avec une sérigraphie bien à eux, inspirée des transes chamaniques comme de la culture populaire, c’est dans un arc-en-ciel de couleurs phosphorescentes que leurs voix émanent, à travers des messages aussi forts que les couleurs sont vives: les slogans tels que “Esfuerzo es éxito” (L’effort, c’est le succès), ou le mot “Conquistadores” qui fièrement porté du côté indigène, clame haut et fort la lecture subversive qu’il faut faire du terme. “Surge Peru surge” (Surgis Pérou, surgis), c’est un hymne au développement et à la liberté d’expression  qu’Amapolay nous transmet, au travers de ses créations qui se situent précisément au croisement de toutes les influences qui forment l’identité péruvienne: de la chola qui porte son bébé dans son manto à la femme qui relève la tête, la parole est donnée à ceux qui encore aujourd’hui, en sont encore trop souvent privés. Le contact qu’ils créent avec le milieu urbain, la rue, est très important, autant que le lien avec les racines de l’identité d’un Pérou qui se veut multiple, divers, riche de ses différences.

Amapolay décline donc un savoir-faire textile indéniable mêlé à une fureur d’exister comme être engagé et à lutter pour faire émerger un Pérou aux mille visages. Ce sont donc des t-shirt peuplés d’un bestiaire andin qui va du puma des neiges au condor des cimes, en passant par les colibris dans un éclat de couleurs qui surgissent sur le tissu, mais aussi des robes, des sweats et bien sûr des vestes où l’agencement des matières rivalisent de complexité avec les motifs codifiés propres à la culture andine. Mise en abyme d’un message dans le message, Amapolay revendique sa soif de transmettre, son goût de la liberté, son respect de ce que les anciens voyaient comme sacré: la pacha mama ou “terre mère” et tout ce qu’elle a permis à l’homme de créer. Une marque qui prône une mode alternative que Sirenas Incaicas est fier de vous faire connaître.

ARTICLE ÉCRIT EN DÉCEMBRE 2016

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